Cherchant une lumière, garde une fumée. (HM)
mer. 02 sept. 2015

L’ovni, leçon de démocratie scientifique

sci   phi  

Comme tout esprit libre, je me suis intéressé au phénomène ovni. Ah, j’avoue avoir eu ma période "ascensionnelle", "enthousiaste" (comprenant un moment HET). Puis est arrivé le scepticisme, et son acide finit par avoir raison de l’essentiel du dossier : nous n’avons aucun moyen de savoir à quel point ce dossier est traversé par le faux. Il pourrait n’être, pour l’essentiel, qu'une gigantesque opération de psychologie sociale.
C'est une longue aventure pour l’esprit, qu'avec le recul, j’estime globalement bénéfique.

Mais pour dire un mot de plus sur le rapport du "scientifique" à l’objet ovni, je laisse la parole à la philosophe des sciences Isabelle Stengers. Cela se passe sur Arte en 1996 :

Isabelle Stengers : - L'opposition entre croyance et non-croyance qui singularise curieusement ce phénomène ovni est, je crois, une pathologie et un symptôme du rôle des sciences dans nos sociétés. Les scientifiques aiment avoir l'initiative des questions. Lorsqu'un phénomène se produit en dehors de toute initiative de leur part, n'importe où, n'importe comment, devant n'importe qui, ils n'aiment pas ça du tout. A priori, ils sont alors dans la même position que n'importe qui, ils n'ont pas d'approche qui les spécifierait. A ce moment-là - et c'est ce qui m'intéresse dans les ovnis car le symptôme apparaît bien - ils sont toujours tentés de disqualifier le phénomène et les témoins, de mettre l'ensemble sous le signe de la croyance, de prendre un ton pédagogique, rappelant les vertus de la rationalité scientifique. J'y vois le symptôme de quelque chose de pathologique, à mon sens, parce que bien évidemment, beaucoup de phénomènes nous posent problème sans que les scientifiques aient pris la moindre initiative. Se donner le droit de les disqualifier sous prétexte qu'ils ne se prêtent pas à une démarche scientifique visant la reproduction et la preuve est donc une très mauvaise habitude, qui se révèle notamment autour de ce phénomène ovni, et qui met en danger des relations démocratiques entre science et société.

L’ovni devient symptôme d’un abus de pouvoir du scientifique hors de son domaine :


Il y a une idéologie officielle de la science - et on la voit fonctionner pleinement à propos des ovnis - qui est une idéologie moralisante, où on apprend au non-scientifique pourquoi il ne doit pas prendre au sérieux ce genre de racontars. Et la science devient alors une instance morale capable de faire la différence entre ce qui est digne de foi et ce à quoi il faut tourner le dos. Ce n'est qu'une idéologie au sens où les scientifiques se gardent bien d'y recourir entre eux. Si un scientifique s'avisait de parler à un scientifique, un collègue dont il dépend, sur ce mode-là, il serait lui-même ridiculisé immédiatement par ce collègue. Le problème de la science n'est donc pas qu'elle soit totalement envahie d'idéologie, le problème, c'est la différence entre les pratiques des scientifiques entre eux et la manière dont les scientifiques se tournent vers l'extérieur, comme si la différence entre science et non-science était donnée, comme si tous les phénomènes dignes d'intérêt répondaient aux critères de nos sciences. Ce qui est intéressant dans ces aventures de la démocratie, c'est qu'apparaissent et puissent s'exprimer des scientifiques qui parlent au public de la même façon qu'ils parlent entre eux - c'est à dire : « Nous avons un problème et nous ne savons pas encore comment le traiter de manière pertinente ». Cette pratique effective et inventive des scientifiques entre eux deviendrait aussi l'image que les scientifiques donnent à l'extérieur. Tant qu'il y aura deux discours, celui des scientifiques entre eux (qui inventent et qui se créent des épreuves) et celui des scientifiques vers l'extérieur (qui pontifient et qui disent : « Ceci n'est pas un objet scientifique », comme si ces objets étaient donnés), eh bien, la démocratie est très mal partie, en tout cas elle n'existe pas entre pratique scientifique et pratique politique, ou pratique sociale, ou pratique culturelle, c'est-à-dire l'ensemble des pratiques où se négocient les problèmes qui intéressent les citoyens.

Il va sans dire que l’astrologie est une sorte d’ovni…